La première maison forte fut construite à Crosville au XIème siècle comme poste avancé de la forteresse de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Crosville était alors tenu par un
chevalier du nom de Raoul Boudet. Ce chevalier accompagna Guillaume Le Conquérant dans sa conquête de l'Angleterre en 1066 et mourut en 1097. Il fut inhumé dans le chœur de l'église du village
tout comme le furent ses descendants.
Les seigneurs de Crosville laissent leurs traces dans l'histoire, comme Raoul II Boudet, fils du précédent qui va s'illustrer au combat lors de la Première Croisade
et participer à la prise de Jérusalem par les Croisés en 1092.
Pendant la Guerre de 100 ans, alors que le vicomte de Saint-Sauveur a pris le parti du roi d'Angleterre, le seigneur de Crosville, Jean II Boudet, pris celui du roi
de France. Ses biens lui furent confisqués par le roi de Navarre qui combattait pour les anglais. Il ne récupéra ses biens qu'à la signature du traité de paix en 1365.
Ce sera son fils, Jean III Boudet, mort en 1443, qui prendra le nom de Crosville. Quelques générations plus tard, un certain Nicolas de Crosville inscrit aussi son
nom dans l'histoire locale.
Il semble que Nicolas de Crosville fut assiégé et pris dans son château puisqu'on emporta ses meubles et son bétail. Les seigneurs de Crosville étaient huguenots.
Nous sommes au temps des guerres de religion.
Le 08 septembre 1573, le fils de Nicolas de Crosville, Gilles de Crosville, chevalier, seigneur de Crosville et de Biniville, épouse Gilonne de Moncel, filles et
riche héritière de Jacques de Moncel, écuyer, seigneur de Saint-Nazaire.
La jeune mariée est la nièce du mémorialiste Gilles de Gouberville (1561-1578), auteur d'un journal dont les années 1549 à 1562 ont été conservées, véritable
témoignage de la vie de gentilhomme campagnard du Nord-Cotentin au XVIème siècle.
Comme son père, Gilles de Crosville est protestant. Il s'engage dans la lutte avec Montgommery et on le retrouve face à Jacques II de Matignon à Carentan et à
Saint-Lô en 1574. Gilles dut se soumettre car il sert le roi Henri III sous les ordres du sieur d'Anneville, paroisse située dans le val de saire, pendant trois moins. Sous le règne d'Henri IV,
on retrouve Gilles de Crosville au poste de commandement de la noblesse du Cotentin et au siège d'Amiens en 1597. Le roi, après 6 mois de siège, bien mal nommé "le siège de velours", reprit la
ville aux Espagnols.
Gilles de Crosville meurt à Rouen le 11 fevrier 1612. il est alors à l'apogée de sa renommée car il se trouve en effet aux premiers plan de la noblesse normande.
L'ascension sociale de sa famille qu'il a amorcée va se confirmer avec ses descendants.
A droite du porche, se trouve une grande tour, de la même époque, qui abrite un large escalier à vis se prolongeant ensuite par une petite tourelle qui, se termine
par un toit très pointu. Cette tour de défense qui conserve encore des embrasures par arquebuses, dessert aussi un ancien logis d'habitation dont on peut encore admirer quelques belles
ouvertures. Ce château primitif s'établissait autour d'une tour carrée comprenant le logis et des bâtiments agricoles qui existent encore.
De cette époque encore, nous pouvons aussi admirer la grosse tour ronde que l'on nomme ici "donjon". Elle a été probablement construite au XVème siècle et modifié au
siècle suivant.
Cette grosse tour a été modifiée à la renaissance comme on peut le constater par le culot de la tourelle d'escalier qui présente un décor typique de cette époque.C'est cette disposition que connut encore le premier fils de Gilles de Crosville et Jacques de Crosville.
Ce sera Jean V de Crosville le frère de Jacques de Crosville qui entreprendra la construction du nouveau château. Jean V est un personnage important puisqu'il est chambellan du Grand Condé, charge qui lui procure une aisance certaine. Il mourut en 1630.L'aisance de Jean VI de Crosville se concrétise aussi dans l'aménagement des salles intérieures. La salle d'apparat conserve une grande partie de son décor d'origine.
Cette immense pièce, de 10 m de long sur 8 m de large, possède une cheminée monumentale datée de 1654, encadrée de colonnettes corinthienne. Si les armoiries
seigneuriales ont été martelées à la révolution, la peinture qui la décorait a été conservée.
Le décor se poursuit en haut des murs évoquant, pense-t-on les métamorphoses d'Ovide qui, à l'origine, avait été illustrées par Bernard Salomon pour l'imprimeur
lyonnais Jean de Tournes en 1557 et 1564. Nous pouvons également admirer les portes peintes de cette salle prestigieuse.
Près de la cheminée, la porte présente une gigantomachie : Phaéton implorant Apollon, Hercule aidant Atlas a porter le monde... La porte donnant sur
l'escalier est entièrement consacrée à Jason qui, en la circonstances, dompte les taureaux d'airain ou prend possession de la toison d'or. Autour de cette même porte, les lambris évoquent
Médée.
De chaque côté des fenêtres subsistent des traces de peinture et on distingue encore des atlantes peintes (sans doute à la fin du XVIIème siècle).
Dans les salles du second étage, nous trouvons également de belles cheminées et quelques lambris d'époque Régence. Les dates laissées par les divers artisans qui œuvrèrent à la construction et à la décoration du château neuf permettent d'affirmer que ce nouveau château fut construit entre 1640 et 1689.
Le plein épanouissement des travaux se réalise sous Jean VI de Crosville; ces travaux s'achèvent sous son fils Henri Ier de Crosville. Il est plus que
probable que ce fut le dernier propriétaire à avoir habité le château de Crossville. Son frère, Hervé, étant décédé célibataire le 6 janvier 1715, la seigneurie revint à sa sœur Marie-Madeleine
de Crosville. Elle avait épousé, le 6 mars 1694, François Fouquet, marquis de Réville. Celui-ci mourut sans postérité à Valognes le 25 novembre 1777 à l'âge respectable de 82 ans. Son immense
fortune fut alors partagée entre quatre héritiers. ce fut André de Hennot, comte d'Octeville-l'Avenel, dans le Val de Saire, qui hérita de Crosville. Il n'habita pas le château et confia
l'exploitation de ses terres à des fermiers.
Crosville fut revendu et lorsqu'en 1980, le dernier propriétaire, le marquis de La Chapelle dont la famille est installée depuis 1679 au château de la Faye à
Ménétréol-sur-Sauldre, dans le département du Cher, cède sa propriété en état de plus ou moins d'abandon à la famille Lefol, il est certainement bien loin de s'imaginer du renouveau qui allait
s'opérer en ces lieux historiques grâce à l'opiniâtreté de la petite fermière qui, enfant, jouait ici à la princesse.